de(s)générations 14

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Violence et politique

Rédacteurs : Alexandre Costanzo, Daniel Costanzo et Philippe Roux

Sommaire

  • Alain Badiou : Tunisie, Égypte : la portée universelle des soulèvements Populaires
  • Alain Brossat : Moralisme anti-violence et démocratie policière
  • Oscarine Bosquet : Histoires de géographie (extraits)
  • Alexandre Costanzo & Daniel Costanzo : La puissance de l’anonyme
  • Alexandre Costanzo : Le “n’importe qui” et le “n’importe quoi”
  • Gustave Courbet : Lettres sur la Commune
  • Philippe Roux : Tout simplement digne
  • Manuel Joseph : On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre - un kosoval, des kosovaux
  • Enzo Traverso : Politique, Violence, Histoire - Entretien avec Alexandre Costanzo & Daniel Costanzo
  • Alain Badiou : Retour sur… - Entretien avec Philippe Roux
  • Jean-Luc Moulène : Le tunnel (extraits)
  • Orchestre rouge : Rote Kapelle (extraits)
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Caractéristiques techniques

Date de publication : 22 octobre 2011
Format : 14,8 x 21 cm - 96 pages
ISBN : 978-2-35575-138-7
ISSN : 1778-0845

Edito

Qu’est-ce que la violence ? Mais d’abord, de quoi est-elle le nom dans les usages qu’en propose la langue publique contemporaine ? Quels rôles jouent ces étranges personnages que sont « l’insécurité », le « délinquant » ou le « terroriste » ? Et comment se fait-il, par exemple, que l’on parle aujourd’hui de « souffrance au travail » là où toute une tradition parlait plutôt de « lutte des classes » ? Que se passe-t-il ? Qu’a-t-on gagné ou perdu là où des mots en éclipsent d’autres, ou bien lorsqu’ils glissent d’un sens à un autre ? Que mettons-nous donc dans le mot « violence » et du coup, que lui a-t-on enlevé ? C’est cette question que l’on souhaitait poser. Mais pour introduire schématiquement notre propos, on dira que le thème de la « violence » s’articule ici autour de trois choses nouées. Il y a, d’un côté, l’ordre des discours déterminant nos manières d’être, de voir et de penser. D’autre part, la logique de la souveraineté qui se réserve en droit le monopole de la violence(1). Et enfin, l’effectivité des politiques d’émancipation qui bouleversent ces partages.
En se nourrissant d’une approche foucaldienne du « biopouvoir » d’un côté ou du thème de « l’immunité » de l’autre, on dira qu’il y a bien fondamentalement une injonction dans nos sociétés, celle d’un noli me tangere (« ne me touche pas ») qui indique qu’il est arrivé quelque chose aux concepts de « liberté » ou « d’égalité » tels que nous les avons hérités de la Révolution française ou tels qu’ils ont été affirmés lors des révoltes arabes de l’hiver et du printemps derniers. Dans un discours fameux, Benjamin Constant nous disait ainsi, en pleine Restauration, que là où les anciens nommaient liberté le partage du pouvoir social entre tous les citoyens, « le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées. Et ils nomment liberté les garanties accordées par les institutions à ces jouissances ». Ce faisant, Benjamin Constant identifie clairement le lieu et l’affectivité d’un bouleversement. Mais audelà de cette sensibilité moderne, il y a tout simplement ce constat de l’usage que font nos sociétés en instituant l’épouvantail de la « violence » à chaque manifestation, à chaque émergence d’une colère ou d’une insurrection, ce qui vient au fond délégitimer tout sens et refouler tout geste politique, toute lutte ou résistance en les faisant basculer dans le champ de la « délinquance », de « l’irresponsabilité » ou de « l’irrationalité » de certaines catégories de la population… La « rue » devient ainsi systématiquement le lieu d’un débordement violent et non plus celui où peut se vivre l’effectivité de la « démocratie ». Ce que Maurice Blanchot décrivait avec enthousiasme pendant Mai 68 en découvrant un espace libéré, une rue qui se serait brutalement réveillée, qui parle, qui est redevenue vivante, puissante, souveraine. Aussi, écrit-il : « […] quand il y a des manifestations, ces manifestations ne concernent pas seulement le petit nombre ou le grand nombre de ceux qui y participent : elles expriment le droit de tous à être libres dans la rue, à y être librement des passants et à pouvoir faire en sorte qu’il s’y passe quelque chose »(2).
Alors, au-delà de l’ordre des discours induisant une sensibilité et une visibilité, la « violence » témoigne avant tout d’un malaise sur lequel s’édifie la logique de la souveraineté et désigne finalement le lieu d’une dispute qui porte sur ce qu’est le « réel » de la politique ou le sens même de la « démocratie ». C’est ce thème que l’on souhaitait proposer là où il s’articule à la politique mais aussi tout simplement comme pensée : car toute pensée ne fait-elle pas violence à un certain ordre des choses ou du monde ?

Alexandre Costanzo, Daniel Costanzo et Philippe Roux

(1) Il s’agit là du thème fameux hobbesien. Ces dernières décennies, Jacques Derrida (Force de loi, Galilée, 2002) et Giorgio Agamben (Homo sacer, Le Seuil, 1998) auront problématisé cette question telle qu’elle s’est articulée notamment entre Walter Benjamin et Carl Schmitt. Nous renvoyons tout particulièrement à l’essai de W. Benjamin, Pour une critique de la violence, in Œuvres, Folio, 2008.
(2) Cf. Maurice Blanchot, Écrits politiques, Lignes/Éditions Léo Scheer, 2003, p.112.

DES-14

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Ont participé à De(s)générations n°14

Alain Badiou, Oscarine Bosquet, Alain Brossat, Manuel Joseph, Jean-Luc Moulène, Enzo Traverso